Quelques références discographiques:
Moondog & the London saxophonic "sax for a sax"
Moondog "H'Art Songs"
Moondog "More Moondog" "The Story of Moondog"
Moondog "In Europe"
Un CD très sympa, avec des saxos très gentils, ça commence bien ...
"Sax Pax for a Sax": les commémorations d'Adolphe Sax étant dans l'air, voici un CD qui capte notre attention un peu par opportunisme. Bien que, manifestement, il ne s'inscrive pas dans une célébration officielle. "Sax Pax" parce que le sax n'a jamais été embrigadé par les musiques populaires et qu'il a, bien au contraire, été aux premières lignes des musiques "pour la liberté" voyez le jazz, le free-jazz... Donc, tout de même, une célébration du sax sous un certain angle de vue, selon une thématique ...
"Sax Pax for a Sax", un CD que vous trouverez dans notre classement 'nouveautés rock' bien qu'il serait mieux à sa place dans une zone entre jazz, classique, variété, nouveau folklore... mais les précédentes expériences sonores de Moondog permettent de le situer aux marges de la culture rock De toutes façons, c'est bien pour ça que l'on en parle ici, Moondog est du genre inclassable.
La musique est très douce dans sa folie discrète, pétillante, très colorée, épicée et mordorée, très contrôlée et écrite avec goût, malicieuse, simple et directe... elle rayonne, de plus, d'un certain halo d'innocence. Voilà quelque chose de difficile à traiter, l'innocence!! Les tendances sonores, en général, s'orientent vers les gros sons excessifs, bien calibrés ou s'engouffrant dans les surenchères et les saturations... Moondog semble suivre un concept inverse. Et puis, dans 'Sax Pax', on rencontre vite des clichés, des stéréotypes, voire des Images d'Épinal... le morceau "Paris", par son kitsch bien dynamique, fera danser tout le monde en mémoire de la légende parisienne. C'est quoi: une composition de Moondog? la chanson que tout le monde a toujours écrit pour chanter Paris? oui, mais les choeurs sont un peu bizarres! (normal, avec Peter Hammil, tiens) Alors, de l'humour? Oui mais porté à quel degré? Difficile d'en avoir le coeur net. Et voilà que déjà ce très gentil CD de saxos sympas nous pose pas mal de problèmes. Comme quoi les choses les plus simples peuvent être complexes... Quelque chose cloche dans ce CD, mais quoi.
A force de l'écouter, de le réécouter, quitte à se poser des problèmes imaginaires, on en vient même à se demander: ce disque de saxo nous donne-t-il à entendre du saxo? On acquiert l'impression que toute cette brillante orchestration saxophonique n'est que de la poudre aux yeux, ritournelles sempiternelles entre jazz primaire et vieilles alchimies musicales européennes telles qu'elles hantent le crâne Moondog. Toute cette parade de saxos allumés, ou élégiaques pour évoquer les 'grands', n'est que prétexte à jouer de la grosse caisse, pour Tim Hardin!!! Parce que Moondog ne s'incarne pas dans le sax mais dans la grosse caisse. Avec une scansion captivante, une pulsation fascinante, une respiration, voilà, une res-pi-ra-tion! Quelque chose respire! Tout n'est que prétexte à faire entendre cette respiration. Si les compositions empruntent beaucoup à la tradition des fanfares, ce n'est pas pour marcher au pas, mais pour favoriser des marches personnelles, fantaisistes, individuelles, selon la poésie de chacun... selon une relation au temps et à l'espace inventée par chacun (cfr Paul Virilio: "Esthétique de la disparition")
La nouveauté d'un vieux sage...
Moondog est Louis Hardin depuis belle lurette. Ambiguïté que, ce qui fait figure de nouveauté, soit engendré par un 'ancêtre'! Les premiers enregistrements que nous possédons à la MCFB datent des années 1956 et 1957. Ils sont regroupés sur un seul CD:'More Moondog' et 'The Story of Moondog". Et justement, la première plage de 'The Story...' s'intitule 'Up Broadway' et correspond tout à fait à la première composition de 'Sax pax...' rebaptisée 'Dog Trot'... Mais la version originale est brouillée par des percussions bricolées, et des atmosphères urbaines. Les premiers enregistrements de Moondog sont indissociables de la rue, semble-t-il. Vous entendez une sirène sur le port de New York, et Moondog avec un 'bamboo pipe' improvise avec une conversation. Vous entendez une conversation au coin d'une rue, et Moondog la transforme en petits blablas éphémères improvisés sur une espèce de marimba, ou une sorte de steel band de Trinidad... ici et là des claquettes, toutes sortes de rythmes des musiques latino à la mode, mais un peu désincarnées, dépouillées de leurs fastes, présentées sous leurs plus simples expressions, comme hantant la cervelle des gens qui vivent dans les rues... C'est rempli de petites pièces bricolées, toutes sortes de trucs musicaux que Moondog ramasse au cours d'un vagabondage. Et Moondog se présente comme une sorte de 'facteur cheval' de l'univers sonore. Il n'embrasse pas la musique dans ce qu'elle peut avoir de prestigieux, de magique, avec tout son appareil de valorisation: il n'en travaille que les bribes abandonnées par les autres, les 'déchets', les 'restes'... Et ça donne quelque chose de très 'tatiesque' comme film sonore, comme manière d'articuler un langage sonore basé sur des matériaux 'pauvres' et percussifs, à l'instar des codes-tambours chez certaines populations noirs, dans certaines situations de lutte... Mais ça ne ressemble pas à un langage hermétique, trop personnel pour être communiqué.
Au contraire, Moondog semble habité d'une intense volonté de communiquer, de transmettre un message, un peu à la manière d'un médium intemporel. Et il y a comme la transe d'un médium autour de cette grosse caisse de son dernier CD. Une impression renforcée par son aspect de vieux mage spirituel: cfr son portrait très 'Hubert Reeves'... Et on peut peut-être lui reprocher de fricoter avec l'une ou l'autre tendance new-agisante ...
A new sound for an old instrument ...
Le mystère Moondog s'étoffe avec les albums "In Europe", "H'art Songs", ou "A new Sound for an Old Instrument". Avec toujours la même innocence il joue la carte de l'intemporalité avec des compositions inspirées par de vieilles musiques européennes et beaucoup par l'orgue. Ca ne ressemble à rien de ce qui se fait, et pourtant on a l'impression de connaître ça depuis toujours. Ecoutons une chaconne qui nous rapproche de Bach mais joué et pensé comme un air de manège enchanté, suranné, désarmé... Rarement une musique contemporaine aura été si peu affirmative, arrogante. Il joue avec une sorte d'inconscient collectif, sorte d'inconscient collectif, alliant les héritages de diverses cultures musicales qui ont dominé le monde, mais qui ne sont plus dans sa tête que de vieilles rengaines sans plus rien de ce qui les faisait participer à une domination culturelle. Et il y le super émouvant "H'Art Songs", un récital de chansons. Le seul disque où Moondog chante vraiment. Un coup au coeur: personne ne résisterait au charme simple de ces chansons, et pourtant ça ne fait l'objet d'aucune exploitation. Une manière de chanter unique, entre Robert Wyatt et Paolo Conte, une poésie translucide qui berce, des mélodies qui ne vous lâchent plus. Piano et voix. Des sortes de comptines ou berceuses pour grands et petits, indistinctement pour adultes et bébés, l'humanité rassemblées dans une seule perception, sans plus de clivage entre les âges et les sexes. Une sonorité 'blanche' qui évoque l'art de l'aphorisme. Des mélodies en formes de charades. Une alchimie mélodiques où les contraires se plaisent entre eux. Des chansons qui balancent entre le lied classique, la comédie musicale jazz et des rudiments de musiques traditionnelles. L'air de rien. Un brassage instinctif, un brin illuminé, de trucs sonores sans âges et sans domiciles fixes, qui sonne comme un héritage universel, comme un pot pourri de musiques issues de l'inconscient collectif, et qui recompose une sorte de nouveau folklore musical pour le monde perçu philosophiquement comme un 'village global'. Tous les disques de Moondog sont différents, mais ils sont tous contenus, préfigurés dans les premiers enregistrements. Et tout Moondog est contenu dans son dernier CD "Sax Pax for a Sax". Qui est Louis Hardin?
Typique / Atypique
Louis Hardin se cache derrière "Moondog", à prendre peut-être comme un concept de l'atypique. L'atypique bouleverse nos perceptions automatiques et nos compréhensions immédiates, innées, de tout ce qui est typique et foisonne autour de nous. Une manière de soulever le capot de la machine et de jeter un coup d'oeil sur la fabrication du typique. Par exemple, il faut lire (article-interview dans Libération sur la préparation du grand show de MC Solaar au Zenith. Histoire de voir à quel point rien n'est laissé au hasard: la dégaine travaillée, l'accent importé. la gestuelle visitée par les experts scéniques etc etc Tout est fabriqué avec minutie, une minutie poussée jusqu'à faire vrai. Tout ça, dans la presse, est présenté comme une marque de professionnalisme, pas du tout comme une sorte de falsification. Mais au fait, vous avez peut-être loupé l'article du Libé? Alors, consultez nos fardes "Les Musiques en Coupures de Presse". Vous y découvrirez en même temps que MC Solaar est bien jeune et bien éloigné de la maturité politique et sociale de certains grands initiateurs du rap, comme les Last Poets... Mais ce n'est pas un péché.